Chaque année, on recense de nombreux cas d’ingestions de piles bouton par de très jeunes enfants (le plus souvent avant 6 ans), dont les conséquences peuvent être sévères et parfois même mortelles.
Les piles boutons, en anglais « button cell », sont de petites piles électriques de forme cylindriques et de dimensions semblables à un bouton (d’où leur appellation). Les piles plates, en anglais « coin cell », sont d’apparence similaire aux piles boutons. La différence réside dans le fait qu’elles sont composées, entre autres, de lithium. Pour des raisons de simplification, nous emploierons ici le terme « pile bouton » (PB) pour désigner ces deux types de pile.
Les PB délivrent un courant faible sur une durée prolongée. Elles sont présentes dans de nombreux objets du quotidien (montres, télécommandes, jouets électroniques, LIVRES SONORES POUR ENFANTS, etc.…), et leur nombre est en constante augmentation ces dernières années du fait de la multiplication des objets électroniques au sein des foyers. Il y a en conséquence un nombre important de cas d’ingestion de PB par des jeunes enfants. On observe également une hausse du nombre de cas symptomatiques et des cas graves en lien avec le développement des PB au lithium, de plus gros diamètre et de plus grand voltage.
Les PB ont un diamètre variable allant de 5 à 30mm. Leur épaisseur varie quant à elle de 1 à 6mm.
Elles peuvent générer une tension variable de 1,5 à 3 Volts.
Les PB au lithium sont à distinguer des autres piles car ce sont elles qui présentent les diamètres les plus grands (de 16 à 30 mm) mais également les plus hauts voltages (3V soit le double de la plupart des autres PB). Elles sont les plus dangereuses en cas d’ingestion et nous en expliquerons les raisons plus loin.
En cas d’ingestion d’une PB par un jeune enfant, les risques sont multiples.
Il existe tout d’abord un risque respiratoire d’étouffement lié à une obstruction mécanique des voies aériennes, la pile se bloquant dans la trachée. La trachée est le tuyau qui prolonge la gorge jusqu’aux poumons et dans lequel circule l’air. Ce blocage mécanique de la trachée ce manifeste, et ce quelle que soit la cause de l’obstruction, par ce que l’on appel en médecine : le syndrome de pénétration.
Celui-ci peut être plus ou moins marqué, dans sa forme extrême il correspond à une suffocation avec une rougeur ou cyanose de la face. Il s’agit d’un accident brutal le plus souvent marqué par des efforts de toux, c’est la situation caricaturale d’avaler de l’eau « de travers ».
Ce risque respiratoire n’est pas exclusive aux PB mais concerne tout ce qui peut s’avaler et se coincer dans la trachée, nous n’aborderons donc pas davantage ce risque ici.
Sur le schéma, en bleue le système respiratoire (nez, gorge, trachée, poumons), en rouge le système digestif (bouche, gorge, œsophage, estomac). Les deux système se « croisent » au niveau de la gorge, on parle du carrefour aéro-digestif.
En cas de passage de la PB par les voies digestives, il existe un risque d’enclavement de celle-ci dans l’œsophage. L’œsophage étant le second tuyau prolongeant la gorge et conduisant ici à l’estomac. C’est par l’œsophage que passe l’ensemble de ce que nous avalons (et également le vomis en sens inverse).
La PB n’étant pas un objet inerte (via son potentiel électrique), cet enclavement peut entraîner des lésions pouvant aller de l’ulcération, de l’érosion de la paroi œsophagienne à une destruction tissulaire profonde correspond à une perforation complète de ce même œsophage. Il s’agit d’un risque de complications graves voire létales. De plus, une fois l’œsophage troué, la PB se retrouve au contact d’autres organes comme certaines grosses artères et la trachée. La PB via son courant électrique pourra de la même manière détruire ces structures vitales.
Les lésions apparaissent très rapidement après l’ingestion, dès les premières heures. Certaines caractéristiques de la PB, dont sa taille, influencent le risque d’enclavement œsophagien. Son voltage, et son caractère usagé ou non impactent sur la sévérité des lésions observées. L’âge et la taille de l’enfant sont également à prendre en compte.
Prévalence
Les cas d’ingestion supposée ou avérée de PB par des jeunes enfants ne sont pas rares. Ils sont le plus souvent accidentels par défaut de perception du risque.
La tranche de population la plus touchée est celle des enfants âgés de 1 à 4 ans.
Les enfants de cette classe d’âge sont les plus touchés en toxicologie générale.
L’étude française « Pilboutox» réalisée sur la période du 1 er juin 2016 au 31 mai 2018, recense 465 cas d’ingestion de PB rapportés par l’ensemble des centres anti-poisons français. Parmi ces cas, 375 enfants étaient âgés de moins de 6 ans (74 %), 451 de moins de 12 ans (89 %).
Sur ces 465 cas d’ingestion, il y a eu avec prise en charge médicale, 13 cas graves et 4 décès (principalement des enfants de moins de 3 ans).
On observe une tendance à la hausse du nombre de cas d’ingestion de PB recensés par les centre anti-poisons français entre le 1er juin 2016 et le 31 mai 2019. En effet, l’effectif a presque doublé entre la première tranche de 6 mois (95 cas), et la dernière (172 cas).
Il existe en effet une augmentation du nombre de cas depuis les années 1980, à mettre en parallèle avec l’augmentation importante de l’utilisation des PB pour le fonctionnement des objets du quotidien, y compris les jouets.
Conséquences liées à l’ingestion des PB
L’enclavement œsophagien et ses complications :
L’enclavement œsophagien est responsable d’une grande part des lésions et de la gravité des PB.
Il correspond au blocage de la PB qui s’impacte dans la muqueuse œsophagienne au lieu de descendre vers l’estomac. Il en résulte un contact prolongé entre la PB et la muqueuse œsophagienne qui subit des lésions tissulaires de profondeur et de gravité variables par plusieurs mécanismes détaillés ci-dessous.
- Mécanique : une compression locale des petites artères et veines de l’œsophage, avec risque de nécrose ;
- Électrique : brûlure due à l’induction d’un courant électrique de bas voltage entre la muqueuse (œsophagienne ou intestinale) et la pile encore chargée ;
- Corrosif : Le contact du pôle négatif de la pile avec la muqueuse œsophagienne entraîne un phénomène d’électrolyse. Celui-ci entraîne la libération d’ions hydroxydes OH-, très alcalins, entraînant une brûlure chimique, pouvant aller jusqu’à la nécrose tissulaire.
C’est ce mécanisme corrosif qui est le plus important dans la génération des dégâts suite à l’ingestion de PB.
En cas d’enclavement œsophagien d’une PB, la profondeur des lésions augmente avec le temps de contact : des lésions apparaitraient dans les 2 premières heures suivant l’ingestion, puis des perforations se formeraient dès 4 à 6h de contact.
Le risque de destruction de l’œsophage avec une possible perforation de ce dernier n’est pas le seul risque qui existe.
La formation de fistule.
Définition d’une fistule : Une fistule correspond à une communication anormale d’une cavité à une autre.
Pour faire simple, une fistule correspond à un tuyau reliant deux organes ou structure ne devant pas être normalement relié ensemble.
Par exemple une fistule intestino-vésicale reliera l’intestin à la vessie ce qui conduira à voir apparaître des selles dans la vessie et de l’urine dans les intestins.
On imagine facilement la gravité quand la fistule touche une artère par exemple ou la trachée.
Une fistule se forme selon différents mécanismes mais le plus souvent cela fait suite à un traumatisme locale dont les causes peuvent être multiples (infections, tumeur, chirurgie, plaie directe, ingestion de pile bouton …). L’organisme en réparant la lésion conduira à une aberration qu’est la formation d’une fistule.
Dans le cas des PB, le risque de fistule oeso-aortique (entre l’œsophage et l’aorte (plus grosse artère du corps)) est plus important quand la pile est enclavée dans le tiers supérieur de l’œsophage. Ce type de complication gravissime survient toujours de façon retardée après un délai de quelques jours à plusieurs semaines.
2 des 4 décès enregistrés dans l’étude « Pilboutox» est dû à cette fistule causant une hémorragie massive.
La fistule oeso-trachéale reliant œsophage et trachée : Les symptômes faisant soupçonner une fistule oeso-trach
éale sont l’apparition d’une toux, de troubles de la déglutition ou de difficulté respiratoire. Là encore le délai d’apparition de ces symptôme est d’au moins plusieurs jours, le temps que le corps « crée » cette fistule.
La Médiastinite : C’est une complication infectieuse grave lié à la perforation de l’œsophage. En effet les bactéries du tube digestif dont ceux de la bouche vont venir infecter le médiastin via le trou formé dans l’œsophage. Le médiastin correspond à la partie du thorax entre les deux poumons et comprenant notamment le cœur.
Délais d’apparition des lésions et leur évolution
En cas d’enclavement œsophagien d’une PB, des lésions de la muqueuse œsophagienne peuvent apparaître dans les 2 premières heures suivant l’ingestion, puis des perforations peuvent se former dès 4 à 6h de contact.
Une fois les lésions œsophagiennes constituées, celles-ci évoluent pour leur propre compte même si la pile bouton a été retirée. La plupart des décès ont été décrits dans les 3 semaines après l’extraction. En effet, les brûlures alcalines continuent à progresser même après le retrait de la PB et un rinçage efficace, en raison de l’alcali résiduel (composé basique (hydroxyde) provenant des métaux alcalins comme le lithium).
Impact des caractéristiques techniques de la PB sur la gravité des lésions
Les piles de plus gros diamètre restent plus facilement bloquées dans les zones de rétrécissement œsophagien. Les piles retrouvées en cas d’enclavement œsophagien ont un diamètre supérieur ou égal à 20 mm dans la majorité des cas. De même les PB de diamètre supérieur ou égal à 20 mm étaient responsables de la majorité des lésions œsophagiennes. Au contraire, les PB de taille inférieure à 15 mm sont plus rarement sources de lésions de nécrose œsophagienne.
Par ailleurs, le courant électrique délivré augmente avec le voltage de la pile. Il y a donc une production accrue d’ions hydroxyde.
De plus logiquement, on observe des lésions plus importantes dans les cas où la PB est chargée (neuve ou en état de marche) en comparaison aux cas où la PB est usagée.
Les études sont en faveur d’un risque de lésions plus sévères lors de l’ingestion d’une PB au lithium. Comme précédemment expliqué, elles sont généralement de plus grands diamètres, majorant le risque d’enclavement œsophagien et sont de voltages plus élevés pouvant expliquer qu’il existe un risque de lésions plus sévères en cas d’enclavement.
Pour résumer : La gravité des lésions œsophagiennes en cas d’enclavement d’une PB est probablement en rapport avec les éléments suivants :
• La durée d’impaction de la PB : les premières lésions de la muqueuse apparaitraient dès 1 à 2h de contact et des perforations dans les 6h ;
• Les caractéristiques techniques de la PB : diamètre supérieur à 15 mm, voltage de la pile ≥ 3 V et niveau de charge élevé (pile neuve) ;
• Le jeune âge du patient (en particulier moins de 5 ans), du fait des dimensions anatomiques plus petites qui augmentent le risque d’enclavement.
Attention au piège de l’enclavement œsophagien transitoire : Lorsqu’une PB est localisée sur la radiographie au niveau de l’estomac ou de l’intestin, ceci n’exclut pas de possibles lésions œsophagiennes. En effet, il existe des cas d’enclavement œsophagien transitoire de la PB. Le contact avec la muqueuse œsophagienne, même s’il est de courte durée, peut entrainer la survenue d’une lésion œsophagienne retardée. Il en va de même si la PB a été retrouvée dans les selles.
En pratique ce que vous devez faire
Il est absolument essentiel de confirmer la suspicion d’ingestion de la PB. La plupart du temps, l’ingestion de la PB par l’enfant est une suspicion, car l’enfant n’a pas vraiment été vu en train d’ingérer la pile. Il convient donc, avant toute chose, de faire préciser les circonstances exactes qui amènent à cette suspicion. Un interrogatoire poussé permet parfois de se rendre compte qu’il est tout bonnement impossible que l’enfant ait ingéré la PB. En revanche, lorsque le doute persiste, l’enfant doit absolument être pris en charge comme si l’ingestion était certaine.
Notamment vous devez faire attention, à la survenue de symptômes respiratoires transitoires. En effet, l’enfant peut avoir toussé, ou même présenté un authentique syndrome de pénétration (accès de suffocation avec cyanose, et toux rauque), puis les voies aériennes se sont libérées grâce aux efforts de toux et l’enfant a ingéré la PB. Ces signes respiratoires spontanément résolutifs sont en fait un argument pour étayer la suspicion d’ingestion de la PB.
Outre les manifestations respiratoires, vous devez rechercher un syndrome œsophagien.
Celui-ci correspond à un ensemble de symptômes digestifs précoces, évocateurs de l’enclavement œsophagien de la PB. Les symptômes retrouvés sont : une dysphagie (= trouble de la déglutition), un refus alimentaire, des pleurs inexpliqués, une impossibilité à déglutir, des vomissements spontanés, et/ou une hyper-salivation.
Lorsque ces signes sont présents, ces derniers doivent motiver une prise en charge en urgence compte tenu des éléments explicités ci-avant sur les complications de l’enclavement œsophagien.
Si vous avez constaté un syndrome de pénétration même transitoire et que l’enfant va bien quelques secondes après, vous devez appeler immédiatement le 15.
Si vous avez constaté des symptômes en faveur d’un syndrome œsophagien, vous devez appeler immédiatement le 15.
Et même de manière plus générale, si vous avez le moindre doute sur la possible ingestion de PB par un enfant, vous devez appeler le 15. Je vous garantis et certifie que nombre de personnes appellent malheureusement le 15 pour beaucoup moins que ça !
NE DONNEZ NI À BOIRE NI À MANGER ET N’ESSAYEZ PAS DE PROVOQUER DES VOMISSEMENTS.
Le risque est d’aggraver l’occlusion œsophagienne, mais surtout que ce que vous donneriez à boire ou manger passe dans la trachée et bloque celle-ci, empêchant la respiration.
La prise en charge médicale aux urgences :
Il s’agira de confirmer dans un premier temps la présence de la PB par une radiographie puis le plus rapidement possible d’amener l’enfant au bloc opératoire pour l’endormir avant d’extraire la PB via un câble munis d’une pince et d’une caméra : fibroscopie oeso-gastro-duodénale ou FOGD.
Il s’agit d’une extrême urgence.
Les PB, un problème de santé publique
Les ingestions de PB sont devenues un problème de santé publique ces dernières années, en raison de leur fréquence et aussi leur gravité potentielle. De ce fait, les autorités essaient de sensibiliser le grand public. Par exemple, un communiqué de presse de prévention a été publié par le Ministère des Solidarités et de la Santé en 2018.
De même pour l’ANSES (Agence Nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) en Février 2019 qui vise à alerter la population générale, les professionnels de santé et les professionnels de la petite enfance sur les risques d’ingestion de PB. Il préconise aussi d’agir en amont auprès des industriels afin d’obtenir un renforcement de la sécurisation de leurs produits et emballages, ainsi que de l’information des consommateurs.
A noter qu’il n’y a pas d’obligation légale en Europe de protéger le compartiment à PB des objets par un système vissé lorsqu’il ne s’agit pas de jouets pour enfants. Les PB étant présentes dans de nombreux objets du quotidien, elles sont souvent laissées à portée des enfants, qui peuvent accéder à la pile lors de la chute accidentelle de l’objet par exemple.
Dans cette circonstance, pensez à répertorier l’ensemble de vos objets utilisant des PB, à les éloigner de vos enfants et également à sceller (avec du scotch) par exemple le compartiment de la PB.
L’étude réalisée par les urgences ORL pédiatriques d’Île-de-France en 2018 montrait que 15% des PB ingérées provenaient d’un paquet de piles neuves ouvert. L’autre source la plus fréquemment retrouvée était les télécommandes (majoritairement de « box » internet ou de télévision), sans compartiment pile vissé puis les jouets/livres pour enfants.
Conclusion
Les cas d’ingestion de PB par de jeunes enfants ne sont pas rares et le nombre de cas symptomatiques augmente chaque année. Les complications peuvent être graves voir létales. La précocité d’apparition des lésions en cas d’enclavement œsophagien d’une PB justifie une prise en charge médicale rapide en cas de suspicion d’ingestion par un enfant.
Des clichés radiographiques doivent être réalisés afin de localiser la PB et ainsi diagnostiquer un éventuel enclavement œsophagien de celle-ci. Dans cette situation, la PB doit être extraite en extrême urgence afin de limiter la survenue de complications.
Les mesures de prévention sont à renforcer auprès du grand public et en particulier auprès des parents de jeunes enfants, en les informant de la dangerosité d’une PB lorsqu’elle est ingérée (avec la mise en place de conseils pratiques pour prévenir l’ingestion) et de la nécessité d’appeler le CAP ou le 15 en cas d’ingestion avérée ou suspectée.
Enfin, les dernières mesures concernent les fabricants de PB et ceux qui commercialisent des objets fonctionnant avec des PB. Les appareils électroniques fonctionnant avec une PB devraient être sécurisés par un compartiment pile vissé, empêchant ainsi la pile de tomber en cas de choc.
Dr Yves H. (médecin urgentiste)
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